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Jocelyne Porcher, une manipulatrice engagée

jeudi 1er mai 2014, par Elodie Ventura

Jocelyne Porcher, sociologue et directrice de recherche à l’Inra (Institut national de recherche agronomique) répondait en avril 2014 à une interview de Terra Eco. La mauvaise foi récurrente de ses propos m’a poussée à écrire cet article.

Distinguer pour embrouiller

Jocelyne Porcher opère une distinction qu’elle affirme essentielle et sur laquelle elle base tout son discours : “entre d’un côté l’élevage, qui est un métier très complexe, a une histoire, s’inscrit dans des enjeux identitaires et des enjeux de territoire, et de l’autre la production animale industrielle, qui a un rapport utilitariste à l’animal et qui fait usage sans limite de son corps.“ Pour elle, l’élevage industriel, qu’elle appelle “production animale industrielle”, n’est pas de l’élevage. Elle semble considérer de façon tout aussi fantaisiste que l’élevage “traditionnel” n’est pas dans un rapport utilitariste aux animaux.
On peut se demander si cette distinction, qui s’écarte des significations populaires, se fonde réellement sur la réalité du terrain ?

Le bio, une forme d’élevage industriel

Porcher laisse entendre que l’élevage bio est assimilable à de l’élevage traditionnel et que les éleveurs issus de ce circuit sont des “agriculteurs résistants”. Comme si le bio était à l’écart des impératifs économiques et ne représentait pas un marché juteux. Mais, au juste, les pratiques en bio correspondent-elles vraiment à nos représentations de l’élevage traditionnel ?

L’exemple des œufs
Dans les élevages bio, exactement comme dans les “productions animales” – que j’appellerai comme tout le monde : “élevage industriel” dans la suite de cet article –, les poussins naissent dans des couvoirs. Les mâles ne pondront pas d’œufs : ils sont “donc” éliminés, broyés ou gazés. Les poussins survivants – femelles – grandiront sans aucun contact avec leur mère. Le bec des poulettes peut être épointé, sans anesthésie bien sûr, comme c’est le cas pour les autres types d’élevage. Les élevages bio sont constitués de hangars qui peuvent accueillir jusqu’à 3 000 poules. Nous sommes loin des 30 poules de chez Mémé. Par ailleurs, les statistiques révèlent 2 fois plus de mortalité pendant la période de ponte en bio qu’en élevage industriel (1). En somme, le bio, c’est loin d’être idyllique pour les animaux.

Selon Porcher, l’élevage traditionnel se caractérise par de l’“affectivité entre l’éleveur et l’animal”. Mais une telle “affectivité” n’est-elle pas purement fantasmatique ? Est-elle sérieusement envisageable dans une exploitation composée de 3 000 individus comme le sont les élevages bio de poules pondeuses ? Jocelyne Porcher laisse miroiter à ses lecteurs un élevage traditionnel qui n’existe plus depuis bien longtemps. Surtout elle laisse dans l’ombre la question de la souffrance des animaux. En effet, elle omet le fait que même dans l’élevage bovin, qu’on imagine fermier, de nombreuses pratiques sont sources de souffrances injustifiables : la séparation des veaux de leur mère, l’enfermement, les castrations, l’écornage des jeunes, le transport… L’histoire se terminant toujours par une mise à mort prématurée des animaux. Ces pratiques ne s’expliquent que par ce rapport utilitariste aux animaux qui fonde justement l’élevage.

Le sujet sensible : la mort des animaux

Porcher reconnaît toutefois que les animaux finissent tous tués dans les mêmes abattoirs, dans des conditions peu enviables. Mais rapidement, elle nous rassure quant aux “vrais” éleveurs : “ils y pensent plusieurs jours en avance, parfois ça les empêche de dormir”. Et je me demande : pourquoi tant s’obstiner à tuer les animaux si ce moment est angoissant aussi bien pour les éleveurs que pour les animaux (les premiers concernés) ? Ne serait-il pas plus simple d’arrêter de les manger et de rompre enfin ce cercle perpétuel de souffrances ?

Il n’en est pas question pour Porcher qui s’obstine à penser que l’élevage “traditionnel”, notamment le bio, est déconnecté de l’élevage industriel. Or, on l’a vu, non seulement l’élevage bio repose tout autant sur des dispositifs industriels (abattoirs, couvoirs….), mais il recourt lui aussi à la cruauté : séparations, enfermements, mutilations…
Les propos de Jocelyne Porcher passent sous silence le véritable problème, celui de la souffrance et de la légitimité de la mise en esclavage des animaux. Et effectivement, ce n’est pas un hasard si le journaliste intitule l’interview de Porcher : « La question n’est pas de manger moins de viande, mais comment en manger mieux ». Son discours vise à relégitimer le fait de manger les animaux. Il constitue une véritable aubaine pour la filière dans son ensemble et, paradoxalement, tout particulièrement la filière industrielle qui utilise cette idéologie de la “viande heureuse” pour endormir les consciences.

La question est : faut-il manger des animaux ?

Dans cette société, manger des animaux ne relève pas de la nécessité mais de l’habitude et de croyances erronées. Les animaux souffrent et refusent leur mise à mort. Il est tout à fait possible d’être en bonne santé et de se régaler avec une alimentation végane. Alors pourquoi continuer à tuer des animaux ?

J’aimerais terminer ce commentaire en rendant hommage aux éleveurs qui refusent de faire tuer leurs animaux. Ceux-là sont pour moi les véritables “résistants”. L’espoir vient de ceux qui ont le courage de cesser leur activité et parviennent à transformer leur élevage en sanctuaire. J’admire leur conjoint – comme ceux évoqués dans le livre de Jonathan Safran Foer, Faut-il manger des animaux ? –, ou leur enfant (j’en connais certains), qui, en connaissance de cause refusent de manger les animaux pour des raisons éthiques. En effet, au-delà des livres d’éthique animale, ils connaissent bien le métier d’éleveur, les pratiques du terrain, “ce qu’est une vache, ce qu’est une étable”, etc. Ils ne sont pas prêts à sacrifier les animaux à “des enjeux identitaires et des enjeux de territoire”. Ni non plus, à ces enjeux dont Porcher ne parle délibérément pas, mais qui sont pourtant des enjeux primordiaux pour les éleveurs : les enjeux économiques, utilitaristes.
Merci à tous ceux qui œuvrent à un monde sans abattoir et sans élevage, à un véritable monde de coopération et non plus d’exploitation entre humain-e-s et animaux.

Elodie Ventura

Notes

1. Source ITAVI 2004. Taux de mortalité : 6,08% en cages désormais dites “traditionnelles”, 11,55% en bio.